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Objection votre honneur ! Quelques pistes pour obtenir efficacement la récusation d'un juge pour cause de partialité.

Le 27 septembre 2022
Objection votre honneur ! Quelques pistes pour obtenir efficacement la récusation d'un juge pour cause de partialité.
Impartialité subjective, impartialité objective, impartialité apparente (not only must justice be done, it must also be seen to be done). Impartialités de tout crin et de tout poil, pliez devant une requête en récusation fondée !

Les juges restent des hommes et des femmes. Il sont, comme tels, imparfaits. En soi, il n'est rien de surprenant à cela. Mais cette imperfection trouve ses limites pour un juge : elle ne doit pas se traduire par une forme de partialité à l'encontre du justiciable.

La justice est impartiale, c'est bien connu. Thémis, déesse grecque aux yeux bandés qui porte une balance dans une main et tient un glaive dans l'autre, la représente et en est la parfaite illustration. Impartiaux, ses humbles serviteurs que sont les magistrats doivent l'être tout autant (ne soyons pas aussi sévère que l'était le magistrat Casamayor (Serge Fuster) pour qui "la Justice est une erreur millénaire qui veut que l'on ait attribué à une administration le nom d'une vertu"... même si cela fait sens pour beaucoup de professionnels du droit et justiciables qui s'y trouvent confrontés...).

Toutefois, c'est une chose de déclamer de beaux principes. C'en est une autre de les voir appliquer en pratique.

Les règles de récusation des juges, telles que fixées par le code de procédure pénale, visent justement à garantir cette impartialité (l'indépendance des magistrats en est une composante mais il faudrait des pages et des pages pour en exposer le principe, les règles qui la garantissent et combien, en pratique, elles peuvent être mises à mal. Le lecteur se montrera indulgent et nous dispensera d'entamer ce travail de bénédictin).

La procédure de récusation des juges est visée au Titre VII du Livre IV du Code de procédure pénale, intitulé "De quelques procédures particulières."

Elle ne semble donc pas être la priorité du législateur même si, il est vrai, la question de l'impartialité des magistrats se trouve déjà contenue dans l'article préliminaire du code de procédure pénale qui rappelle que la procédure pénale doit être équitable et qu'elle doit garantir la séparation des autorités de poursuite (chargées de l'action publique) et des autorités de jugement (toutes les juridictions, sans exception, qu'elles soient collégiales ou à juge unique). A cet égard, la jurisprudence, interne comme européenne, a pu préciser de quelle façon devaient être assurées l'impartialité personnelle (ou subjective) et l'impartialité fonctionnelle (ou objective). Cette dernière forme d'impartialité a d'ailleurs été l'occasion de préciser la situation du juge exerçant successivement des fonctions judiciaires différentes dans une même affaire ou la même fonction judiciaire dans la même affaire.

Mais le guide pratique pour obtenir la récusation d'un juge que l'on taxe de partialité se trouve dans les articles 668 à 674-2 du Code de procédure pénale (avec, aux articles suivants - 675 à 678 du Code de procédure pénale - ce qui constitue en quelque sorte son pendant, à savoir le jugement des infractions commises à l'audience).

Tout d'abord, l'article 668 du Code de procédure pénale énonce quelles sont les causes pour lesquelles tout juge ou conseiller (à la Cour d'appel) peut être récusé. La liste donnée paraît tomber sous le sens : un trop fort lien de proximité interdit, malgré les meilleures intentions, toute véritable impartialité. Ainsi, un juge ou son époux (ou concubin ou pacsé) ne pourra juger une partie qui est son parent ou allié ou le parent ou allié de son conjoint, y compris en cas de divorce ou de décès de ce dernier. Idem lorsque le juge ou ses proches ont déjà déjà eu maille à partir devant la justice avec l'une des parties. 

Dans l'ensemble des neuf cas visés à cet article, le juge ou le conseiller ne pourra pas se récuser d'initiative. Il devra être autorisé à le faire par ordonnance du premier président de la cour d'appel, laquelle ne sera pas susceptible de recours (Art. 674 du Code de procédure pénale).

L'article 669 du Code de procédure pénale précise la procédure à suivre. Précision importante, la demande de récusation ne doit pas permettre d'exclure des débats celui qui reste le principal contradicteur des prévenus ou accusés, c'est-à-dire des personnes mises en cause devant une juridiction répressive. Ainsi, les magistrats du ministère public ne peuvent être récusés. Sinon, il serait trop simple de se "débarrasser" d'un procureur de la République ou d'un procureur Général que l'on ne trouverait pas suffisamment accommodant... D'ailleurs, les textes sont clairs : ils ne visent que les juges et non l'ensemble des magistrats.

La requête, qui doit désigner nommément le ou les magistrats visés et contenir l'exposé des moyens invoqués avec toutes les justifications utiles, doit être adressée au premier président de la Cour d'appel.

Le premier président de la cour d'appel en avisera le président de la juridiction à laquelle appartient le juge récusé mais la requête en récusation ne dessaisira pas pour autant ce juge tant qu'il n'aura pas été statué sur ses mérites. Toutefois, le premier président pourra, après avis du procureur général, surseoir à la continuation de l'instruction (si le juge visé est un juge d'instruction) ou des débats (si le juge visé compose une juridiction de jugement) (Art. 670 du Code de procédure pénale).

La procédure de récusation n'échappe pas à la règle du contradictoire : chaque partie doit être en mesure de faire valoir ses arguments. Le demandeur par un éventuel mémoire complémentaire, le juge en formulant des observations en défense écrites et le parquet général dont l'avis sera sollicité.

L'ordonnance que rendra le premier président, qu'elle prononce la récusation ou non, sera exécutoire de plein droit, immédiatement. Elle ne peut faire l'objet d'aucun recours (Art. 671 du Code de procédure pénale).

Afin de calmer les ardeurs procédurales de certains justiciables (qui virent parfois à la quérulence) et/ou de leurs conseils et pour que le droit de demander la récusation d'un juge ne dégénère pas en abus, toute ordonnance qui rejette la demande de récusation condamne également le demandeur à une amende civile de 75 à 750 € (ce qui ne refroidira pas les justiciables les plus fortunés, convenons-en).

Le lecteur nous fera grâce des spécificités procédurales concernant la requête en récusation d'un premier président de cour d'appel ou d'un conseiller à la cour de cassation (qui ne sont pas plus "intouchables" que les juges du fond). L'idée reste la même, seules varient les voies procédurales.

En conclusion, même si dans la salle d'audience (le prétoire) le juge se trouve être surélevé par rapport aux justiciables et leurs avocats (nous n'entrerons pas dans la polémique concernant "l'erreur du menuisier" qui fait que le ministère public, pourtant simple partie à l'audience, bénéficie également de cette position surélevée : voir l'article très intéressant de notre confrère, François Saint-Pierre), il n'en demeure pas moins soumis à une exigence d'impartialité.

En guise d'excipit, et pour citer Michel de Montaigne : "Si haut que l'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul."