Qu'est-ce que le référé pénal environnemental ? Une procédure propre au droit pénal de l'environnement
Agir rapidement pour préserver l'environnement le temps de l'enquête pénale
Les évolutions contemporaines du droit pénal de l’environnement prennent en considération la complexité de la lutte contre la délinquance et la criminalité environnementale et donc la nécessité de préserver rapidement, avec des mesures provisoires, l’environnement le temps de l’enquête pénale ou de l’instruction.
Le référé pénal environnemental a été instauré en 1992 sous la forme du « référé pénal eau » alors uniquement applicable en matière de police administrative de l’eau, complété en 2013 par le « référé pénal animaux » en cas de méconnaissance des prescriptions s’imposant aux établissements détenant des animaux d’espèces non domestiques.
La loi Climat et résilience du 22 août 2021 étendra le champ d’application du référé pénal environnemental afin d’assurer son effectivité sans pour autant le généraliser à l’ensemble des infractions prévues par le Code de l’environnement.
Toutefois, le régime applicable à cette procédure, qui vise à assurer la préservation de l’environnement dans le cadre d’une probable procédure pénale, se doit d’allier des garanties de célérité, d’effectivité et de protection des droits de la défense d’un éventuel mis en cause.
A quelles infractions au Code de l'environnement s'applique le référé pénal environnemental ?
Certaines réformes envisagent de généraliser le référé pénal environnemental à toutes les infractions au code de l’environnement.
Pour l’heure, ce référé peut être utilisé pour la violation de diverses obligations limitativement énumérées :
- En cas de méconnaissance de l’attribution d’une autorisation environnementale au sens de l’article l.181-1 du code de l’environnement. Exemple : pour des travaux susceptibles de présenter des dangers pour la santé et la sécurité publique, les autorisations d’émission de gaz à effet de serre s’agissant des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE)…
- En matière de protection des eaux :
o Par les règles générales de prévention de la qualité et de réparation des eaux superficielles, souterraines et des eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales ainsi que certaines parties du territoire établies par décret ;
o Pour l’exploitation d’installations, d’ouvrages, de travaux et d’activités réalisés à des fins non domestiques par toutes personnes et entraînant des prélèvements sur les eaux superficielles ou souterraines, une modification du niveau ou du mode d'écoulement des eaux, la destruction de frayères, de zones de croissance ou d'alimentation de la faune piscicole ou des déversements, écoulements, rejets ou dépôts, même non polluants ;
- En matière de recherche et d’exploitation des hydrocarbures liquides ou gazeux par des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche
Ce n’est que dans ces domaines prévus spécifiquement par l’article L.216-13 du code de l’environnement que le référé pénal environnemental pourra être utilisé.
La mise en oeuvre de la procédure, compétence exclusive du procureur de la République
Selon l’article l.216-13 du code de l’environnement la procédure ne peut être engagée que par le procureur de la République agissant soit d’office, soit à la demande de l’autorité administrative, de la victime ou d’une association agréée de protection de l’environnement.
Seul le procureur de la République peut décider de saisir le juge, sans pouvoir y être contraint.
Ainsi, l’effectivité de ce référé repose en grande partie sur la personnalité du procureur de la République (et les moyens dont il dispose) qui se doit d’être sensibilisé aux problématiques environnementales et au fonctionnement de ce référé.
Le procureur de la République, convaincu de la nécessité d’une telle procédure, saisira le Juge de la liberté et de la détention, ou le juge d’instruction si une information judiciaire a été ouverte, afin de mettre fin aux opérations réalisées mettant en péril l’environnement.
Les pouvoirs du Juge des libertés et de la détention
L’article 216-13 al.1er du Code de l’environnement dispose que le Juge des libertés et de la détention (JLD), ou le juge d’instruction en cas d’ouverture d’information, peut « ordonner pour une durée d’un an au plus aux personnes physiques et aux personnes morales concernées toute mesure utile y compris la suspension ou l’interdiction des opérations menées en infraction à la loi pénale ».
Le terme de « toute mesure utile » souligne l’étendue des pouvoirs du juge pour qu'il soit mis un terme à l’atteinte à l’environnement.
Il pourra ainsi prendre aussi bien des mesures conservatoires que des mesures d’interdiction ou de suspension.
La seule condition étant que ce ces mesures soient de nature à faire cesser un trouble causé à l’environnement.
L'étendue incertaine des pouvoirs du juge
Dans une affaire de pollution des eaux, le JLD Dijonnais a pu ordonner comme mesure un prélèvement hebdomadaire des eaux et leur analyse par un laboratoire indépendant (TJ Dijon, JLD 4 août 2023 n°170/2023) tandis que le JLD Lyonnais estimait être, dans le cadre de ce référé, un juge de l’évidence, ne disposant d’aucun pouvoir propre d’enquête ni de la possibilité de désigner un expert pour prendre sa décision (TJ Lyon, susvisé).
Une distinction entre mesure conservatoire et mesures de suspension et d’interdiction ?
Face à la rédaction succincte de l’article, le Tribunal judiciaire de Lyon a pu nuancer l’amplitude d’action du JLD en considérant que si les mesures conservatoires ne nécessitaient pas la caractérisation d’une faute de nature à engager la responsabilité pénale, ce n’était pas le cas du prononcé de mesures de suspension ou interdiction qui semblent nécessiter la démonstration d’une infraction pénale par le procureur de la République (TJ Lyon, JLD, 6 novembre 2023, n°22152/76).
Dès lors, comme pour l’engagement de la procédure, la teneur des mesures utiles prononcées repose sur un fort intuitu personae des juges des libertés et de la détention.
Un JLD pourrait considérer qu’une mesure administrative prise par la préfecture, après sa saisine, répond à l’objectif de cessation de l’atteinte à l’environnement et refuser d’ordonner une mesure complémentaire alors même que ses effets seraient plus bénéfiques que ceux de la mesure administrative.
L’exécution par provision (provisoire) de la décision
L’efficacité de la décision est assurée par le fait que l’ordonnance est exécutoire par provision, nonobstant l'exercice d'un recours (sauf appel spécifique).
Ses effets prennent fin sur décision du juge ou lorsqu’une décision au fond est devenue définitive.
Un droit d'appel encadré
L'appel de la décision
Selon l’alinéa 5 de l’article L.216-13 du code de l’environnement « la personne concernée ou le procureur de la République peut faire appel de la décision du juge dans les 10 jours suivant la notification ou la signification de la décision ».
Le 6e alinéa précise que « Le président de la chambre d'instruction ou de la cour d'appel, saisi dans les vingt-quatre heures suivant la notification de la décision du juge d'instruction ou du tribunal correctionnel, peut suspendre la décision jusqu'à ce qu'il soit statué sur l'appel, sans que ce délai puisse excéder vingt jours ».
Un droit d'appel réservé
Alors même que les associations ne savent pas nécessairement qu’un juge a été saisi et qu’elles n’ont donc pas pu formuler leurs observations, elles ne pourront pas non plus interjeter appel de l’ordonnance rendue.
La Cour de cassation, faisant une application stricte et textuelle de la loi, a pu juger que le droit d’appel des décisions du Juge des libertés et de la détention saisi d’un référé pénal environnemental n’appartient qu’au procureur de la République et à la personne à l’encontre de laquelle les mesures ont été ordonnées (Crim, 18 mars 2025, n°24-81.339, B).
Une association n’est donc pas recevable à interjeter appel d’une ordonnance de protection de l’environnement quand bien même celle-ci aurait été à l’origine de la saisine du juge par le Procureur (Crim, 14 janvier 2025, n°23-85.490, B).
Exécution forcée de l'ordonnance du Juge des libertés et de la détention
Dans le même sens, une association, n’ayant pas la qualité de partie à la procédure, ne peut pas saisir le juge des référés en liquidation de l’astreinte prononcée, cette prérogative étant réservée au procureur de la République (Crim 14 janvier 2025, n°23-85.490).
La réaffirmation récente des droits de la défense
Le respect du contradictoire
Selon l’alinéa 3 de l’article L.216-3 du code de l’environnement, la décision du juge ne pourra être prise qu’après l’audition de la personne intéressée ou sa convocation à comparaître dans les 48 heures.
Le défaut d’audition ou de convocation à comparaître de la personne concernée afin qu’elle puisse présenter ses observations est une violation du principe du contradictoire justifiant l’annulation de l’ordonnance du Juge des libertés et de la détention (CA Riom, Chambre de l’instruction, 26 mai 2020, n°191/2020).
L’audition de l’autorité administrative, de la victime ou de l’association agréée en protection de l’environnement n’a lieu que si elles en font la demande.
Il faut pour cela qu’elles sachent que le procureur de la République a saisi le juge dans le cadre du référé pénal environnemental, ce qui n’est pas nécessairement le cas, a fortiori en raison des délais extrêmement courts de la procédure...
Une réserve d'interprétation sur le droit de conserver le silence
Le Conseil constitutionnel a émis une réserve d’interprétation quant à la conformité de l’article L.216-13 du code de l’environnement sur le défaut de mention de notification du droit au silence de la personne concernée en réaffirmant les droits de la défense de la personne suspectée ou poursuivie dès lors que ses déclarations sont susceptibles d’être portées à la connaissance de la juridiction répressive (Conseil Constitutionnel, QPC, 15 novembre 2024, 2024-11111) :
« La seule circonstance que cette personne soit entendue sur des faits qui seraient susceptibles de lui être ultérieurement reprochés ne saurait être contesté sur le fondement des exigences de l’article 9 de la déclaration de 1789 selon lesquels nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. En revanche ces dispositions ne sauraient sans méconnaitre ces mêmes exigences permettre au JLD d’entendre la personne concernée sans qu’elle soit informée de son droit de se taire lorsqu’il apparait qu’elle est déjà suspectée ou poursuivie pénalement pour les faits sur lesquels elle est entendue dès lors que ses déclarations sont susceptibles d’être portées à la connaissance de la juridiction de jugement ».
Dans la continuité de cette décision, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que la personne concernée qui ne serait entendue que dans la finalité de prendre d’éventuelles mesures de précaution sans être ni suspectée ni poursuivie, ne pourra soulever un grief tiré de l’absence de notification du droit au silence (Crim, 28 janvier 2025 n°24-81.410).
Personne concernée, suspectée ou poursuivie
Au statut de personne « concernée », partie à la procédure de référé pénal environnemental à l’égard de laquelle des mesures pourraient être prises, s’ajoute donc le statut de personne suspectée ou poursuivie ayant comme accessoire la nécessaire protection des droits de la défense.
Le défaut de notification du droit au silence des personnes suspectées ou poursuivies pourrait donc leur permettre de demander l’annulation de leur audition ou interrogatoire devant le juge, ce qui peut avoir une importance procédurale.
L'impératif d'urgence à conserver
La consécration mesurée du droit au silence s’explique par la conciliation des droits de la défense avec l’urgence inhérente au référé pénal environnemental, à savoir la protection de l’environnement.
En encourageant le droit au silence de personnes qui ne sont pas encore suspectées d’avoir commis une infraction pénale, celles-ci pourraient rester muettes et donc contrevenir au bon déroulement de la procédure.
Il est cependant illusoire de décorréler le référé pénal environnemental d’une procédure pénale au fond.
Dès lors, il est nécessairement critiquable d’exclure la notification du droit au silence pour les personnes qui ne sont pour l’instant pas suspectées, celles-ci risquant de l’être prochainement.
Cet article a été rédigé par Monsieur Lucas VIELLET, Auditeur de justice que nous avons eu le plaisir d'accueillir en stage au cabinet, auquel nous disons " bon vent matelot ", heureux qui, comme Ulysse, aura fait un beau voyage, que les courants te mènent à la destination de ton choix : hissez haut !
Cette actualité est associée aux catégories suivantes : Droit pénal
- avril 2025
- décembre 2024
- novembre 2024
- octobre 2024
- juin 2024
-
Par téléphone :
-
Par mail :
-
On vous rappelle :