Comment évaluer l'indemnisation d'un préjudice corporel : quelques pistes de réflexion
Quels sont les critères d'indemnisation du préjudice corporel ?
Eviter une évaluation forfaitaire
S'il est possible, devant un tribunal, de demander une somme forfaitaire en réparation de son préjudice corporel, cela est fortement déconseillé.
D'une part, parce que ce forfait n'indemnisera jamais l'entier préjudice subi par la victime.
La Cour de cassation prohibe d'ailleurs les demandes de réparation formulées toutes causes de préjudice confondues ou réunies.
Tout au plus ce forfait permettra-t-il l'indemnisation d'un simple préjudice moral lorsque la victime ne présente pas de blessures physiques ou psychologiques (au sens médical du terme).
La victime de l'infraction (infraction qui peut prendre la forme du délit de blessures involontaires par un conducteur en cas d'accident de la circulation) n'aura pas alors besoin de produire des éléments médicaux.
Elle n'en sera pas dispensée, pour autant, de justifier de la réalité de son préjudice moral car nul ne peut obtenir indemnisation d'un préjudice s'il ne justifie pas avoir été personnellement victime du dommage causé directement par l'infraction.
D'autre part, parce qu'une évaluation forfaitaire est difficile à évaluer.
Ce qui prête cette évaluation à la critique de la partie adverse devant le tribunal.
Si elle présente le mérite d'être simple et rapide, l'évaluation forfaitaire, faite "au doigt mouillé", doit donc être évité.
Distinguer ses différents postes de préjudice
La principe de réparation intégrale du préjudice, qui guide le raisonnement des professionnels du droit, veut que la victime soit indemnisée de son entier préjudice corporel, sans perte ni profit.
En d'autres termes, il faut réparer tout le préjudice mais rien que le préjudice.
Cela suppose nécessairement que soient distingués les différents préjudices subis par la victime.
Et, ils sont nombreux !
On distingue généralement les préjudices extrapatrimoniaux de ceux patrimoniaux.
Et, dans chacune de ces catégories, on opère une distinction selon qu'ils sont temporaires ou permanents.
Donner une liste exhaustive serait pesant.
Citons, pour exemple :
1. Le déficit fonctionnel temporaire (DFT), évalué en jour et en pourcentage (ou classe, de I à IV) qui correspond à la gêne ressentie par la victime dans les actes du quotidien.
La notion de DFT ne doit pas être confondue avec celle d'ITT (incapacité temporaire de travail) qui permet de qualifier l'infraction.
Ainsi, selon que la victime d'un accident de la circulation présentera plus ou moins de 3 mois d'ITT, l'infraction sera une contravention ou un délit (s'il n'y a pas de circonstances aggravantes).
Idem pour les violences volontaires dont la qualification pénale variera selon que la victime aura présenté plus ou moins de 8 jours d'ITT.
Par surcroît, le DFT et l'ITT ne se confondent pas non plus avec la durée d'un arrêt de travail (qui détermine la période pendant laquelle la victime ne peut pas reprendre son travail ou en chercher si elle est au chômage)...
2. Le déficit fonctionnel permanent (DFP) permet d'évaluer l'étendue des séquelles définitives dont restera affectée la victime après sa date de consolidation médico-légale.
En d'autres termes, le DFP désigne l'infirmité permanente dont souffrira la victime (infirmité qui peut être physique, telle une paraplégie, une tétraplégie ou une amputation, ou psychologique, notamment en cas de traumatisme crânien qui est nommé, juste titre, handicap invisible).
Il est fixé en pourcentage.
3. Les postes de préjudice qui sont évalués de 1 à 7.
Tel est le cas des souffrances endurées (jusqu'à la consolidation médico-légale) ou du préjudice esthétique (pour lequel il est distingué selon qu'il est temporaire ou définitif).
Il faudrait également évoquer le préjudice d'agrément, celui d'établissement, sexuel, l'incidence professionnelle.
Sans oublier les préjudices purement patrimoniaux, telles les dépenses de santé, actuelles et futures, les dépenses d'aménagement du logement et/ou du véhicule, l'assistance par une tierce personne (qui peut aussi se décliner en aide à la parentalité), la perte de gains professionnels (actuels et futurs), etc.
Cette rapide présentation permet de se convaincre de la complexité du sujet et de la nécessité de ne rien oublier pour obtenir réparation de son entier préjudice.
Quelles sont les méthodes de calcul pour obtenir l'indemnisation d'un préjudice corporel
Le préalable : obtenir une évaluation médico-légale de son préjudice dans le cadre d'une expertise
L'expertise peut être amiable (et contradictoire, c'est-à-dire opposable à toutes les parties qui y auront participé).
Elle l'est dans le cadre des négociations avec l'assureur du responsable du dommage (solution qui n'est pas à privilégier : si elle peut présenter le mérite de la célérité, une indemnisation amiable n'est pas toujours en faveur de la victime, surtout lorsqu'elle n'est pas assistée d'un avocat).
L'expertise peut également être judiciaire lorsque l'expert est désigné par le tribunal à la demande de l'une des parties (dans la grande majorité des cas, par celle qui y a principalement intérêt, c'est-à-dire la victime qui se sera constituée partie civile si son dossier a connu une orientation pénale).
L'expertise peut être demandée devant diverses juridictions : la CIVI (Commission d'indemnisation des victimes d'infractions), le Tribunal administratif, le Juge des référés, le juge ou le conseiller de la mise en état devant le tribunal judiciaire ou la Cour d'appel, le Tribunal de police, le Tribunal correctionnel, la Cour d'assises ou la Cour criminelle départementale lorsque la victime a souffert d'un crime, etc.
Généralement, la demande de désignation d'un expert sera couplée à une demande de provision, la victime sollicitant, dans l'attente du rapport d'expertise qui fixera l'étendue de son préjudice, que lui soit versée une "avance" sur les dommages et intérêts à lui revenir.
Au cours des opérations d'expertise, surtout lorsqu'elle souffre d'un grave préjudice, la victime aura tout intérêt à être assistée d'un médecin conseil qui défendra ses intérêts devant le médecin expert.
Il ne faut pas oublier que l'expertise médicale porte d'abord sur les éléments médicaux qui établissent l'étendue du préjudice de la victime.
Si l'avocat qui assiste la victime est en capacité d'initier une procédure, de la suivre, de chiffrer un préjudice, il n'a pas de connaissances médicales.
Il faut donc un spécialiste : à l'avocat la science du droit, au médecin la science de la santé.
Chiffrer à partir des conclusions de l'expert
L'expert va déposer son rapport.
Il est généralement précédé d'un pré-rapport qui permet aux parties de faire valoir des observations ou de solliciter un complément d'expertise, par exemple.
Il est alors parlé d'un dire auquel l'expert devra répondre et qu'il devra joindre à son rapport d'expertise, ce qui sera fort utile s'il s'avère nécessaire de contester les conclusions de l'expert devant le tribunal.
A partir du rapport d'expertise définitif, l'avocat de la victime va pouvoir chiffrer son préjudice en usant de différents référentiels, en principe purement indicatifs mais qui, dans la pratique, font bel et bien office de barème (dont le référentiel Mornet utilisé par tous les spécialiste de la réparation du dommage corporel).
Si le rapport d'expertise permet de dégager tous les postes de préjudice purement médicaux, c'est à l'avocat qu'il incombera de chiffre les préjudices économiques et de les évaluer, les préjudices patrimoniaux sortant du cadre purement médical de l'expertise.
Mais cela est encore une autre histoire...
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